En 2002, ARTE donnait naissance à un étrange projet : une radio sur le Web. Dix ans plus tard, ARTE Radio s’est imposée, référence pour nombre de nouveaux auteurs. Bougies numériques soufflées par Silvain Gire, responsable éditorial et pionnier jamais rassasié.
Dix ans après les débuts d'ARTE Radio, entendez-vous encore "ARTE Radio, c’est sur quelle fréquence ?" ou "Je ne savais pas qu'ARTE faisait de la radio" ?
Silvain Gire : Oui, surtout en France. Il y a dix ans, ARTE Radio était considérée comme un programme expérimental, voire saugrenu. L'accueil avait été compliqué, même dans le milieu de la radio. Internet sentait le soufre, et nous venions d'ARTE, une chaîne de télé. Les gens ne comprenaient pas : "Quoi ? De la radio sur Internet ?" Mais aujourd'hui, tout le monde a fini par comprendre que nos principes étaient valides dès le début. Le podcast et la diffusion via le Net (le Web, mais aussi les smartphones, les tablettes, etc.) se sont révélés des outils très adaptés à la radio de création. Nous comptabilisons ainsi 100 000 visites et 400 000 sons écoutés par mois, et nous avons gagné de nombreux prix à l’étranger, où je suis de plus en plus invité à parler de notre travail.
Dès le départ, l’identité d’ARTE Radio s’articule autour de principes forts, comme le podcast, les formats libres et l’archivage total…
Le format de nos sons n'est pas absolument libre, puisqu’il y a une éditorialisation assez féroce de ma part. Mais c'est vrai, les durées ne sont pas préétablies. Il n'y a ni rendez-vous, ni grille, ni obligation de production. On écoute ce qu'on veut, quand on veut et désormais, où on veut. L'idée de garder toutes les archives en ligne a aussi constitué un geste fort. Pour la première fois dans l'histoire, l'auditeur était incité à réécouter la radio. Auparavant, le public ne pouvait s'appuyer sur une mémoire commune. Nous avons donc créé une culture radiophonique et fait émerger une nouvelle génération d'auditeurs. Laquelle devient à son tour une génération de créateurs.
Ne s'agissait-il pas d'imposer une nouvelle esthétique radio, faisant la part belle au son, en se passant de pratiques comme l'interview, la voix off, le commentaire ?
ARTE est une chaîne où l'art du documentaire se fait souvent sans commentaire, et cela m'a influencé. Des sociologues nous ont dit qu'ARTE Radio était une bibliothèque virtuelle des voix de la société française. On y écoute des gens qu’on n'entend pas ailleurs, avec cette volonté de respecter leur parole, de se sentir proche d'eux. Le podcast est une expérience directe avec la personne qui parle, sans filtre ni médiateur. Souvent au casque, cette écoute intime, personnelle, concentrée, est très adaptée aux nouveaux dispositifs, à une génération et à une consommation plus zappeuses.
ARTE Radio s'écoute comme on lit une revue, avec ses rubriques et genres variés…
Ce sont les champs traditionnels de la radio de création – fiction, confessions, jeu sonore, documentaire... – que nous avons essayé de renouveler. Mais notre but reste le même : permettre à des auteurs, débutants ou professionnels, de donner un écho du monde et des vies qu'on y mène.
La grande question d’ARTE Radio n'est-elle pas celle du personnage, de son identité donc de son intimité ?
Si, et c'est pourquoi je refuse les paroles d'experts. Un sans-papiers parle à la fois pour lui-même et au nom de tous les sans-papiers. ARTE Radio cherche du différent, du bizarre, du divers, cette promesse du documentaire. Qu'est-ce qu’un homosexuel en Iran, des Arabes dans une ville Front national, un type qui fait du SM ? En les écoutant, on s'aperçoit qu'on est proche d'eux : "L'autre, c'est nous", voilà ma grande formule (rires).
Quelle évolution voyez-vous pour ARTE Radio ?
ARTE Radio est devenu au sein d'ARTE un pôle de création numérique qui peut fournir une expertise sur le son et s'associer avec d'autres pôles pour des créations en image. Nous avons coproduit des webdocs avec Lemonde.fr et arte.tv comme New York minute, diffusé à l'antenne, ou encore des dessins animés vus dans Cut up. On s'intéresse aussi beaucoup aux soundwalks, à la géolocalisation et aux applications nouvelles. Je peux imaginer qu'à terme, une zone du site accueille des productions avec images. Car c'est certain, nous devons élargir notre champ d'action.
Propos recueillis par Pascal Mouneyres pour ARTE Magazine n°49 - 2012